De nombreux rapports officiels sont régulièrement publiés au sujet de nos compétences numériques et des moyens à mettre en œuvre pour les améliorer. L’originalité de l’un des derniers en date a cependant été – tout en reprenant les conclusions de ceux qui l’ont précédé – de se concentrer sur ce que l’on perd à ne pas investir dans le numérique et dans la formation des publics les plus éloignés du numérique.
Remis entre les mains de Mounir MAHJOUBI, Secrétaire d’Etat chargé du Numérique, le 12 juillet 2018, le rapport établi par France Stratégie sur les « Bénéfices d’une Meilleure Autonomie Numérique » a en effet cherché à évaluer les manques à gagner induits d’une inclusion numérique imparfaite.
La population cible de l’étude
En France, ce serait 14 millions de personnes (soit 28% de la population nationale âgée de plus de 18 ans) qui se retrouveraient en difficulté vis-à-vis du numérique. Parmi ces « éloignés » du numérique, comme les nomme le rapport, on retrouve les « non-internautes » ne se connectant jamais à Internet, mais aussi les internautes « distants » dont les compétences numériques restent trop faibles pour réaliser des opérations simples en relation avec le numérique.
C’est en se basant sur ces deux catégories de personnes et en envisageant qu’une partie d’entre elles seulement soit formée aux usages et aux compétences numériques de base, que le rapport de France Stratégie réalise ses estimations. En prenant en compte le fait que la transformation numérique actuelle influence tous les pans de notre vie quotidienne, les projections du rapport se font sur quatre grands domaines d’étude : Economie numérique, Emploi & formation, Relation avec les services publics, Inclusion sociale et bien-être.
L’influence considérable du numérique sur notre société
Economie numérique. En permettant d’acheter des produits en ligne à des prix souvent moins élevés qu’en magasin, l’e-commerce peut à juste titre être considéré comme un élément favorable à notre pouvoir d’achat[1][2]. Le rapport sur les « Bénéfices d’une Meilleure Autonomie Numérique » estime que si 5% des éloignés du numérique effectuent aujourd’hui des achats en ligne, qu’en faisant passer cette proportion à 32% d’entre eux, leurs gains annuels en pouvoir d’achat pourrait être de l’ordre de 180 millions d’euros, soit de 42 euros par personne.
Les plateformes de l’économie collaborative (Air BnB, BlaBlaCar…) permettant de partager, de louer, de troquer ou de revendre sont également envisagées comme de bons moyens de réaliser des économies et de produire des revenus pour les ménages. Là aussi, les projections du rapport considèrent qu’avec une moitié des éloignés du numérique (soit près de 7 millions de personnes) formée aux outils numériques de base, les bénéfices en termes de pouvoir d’achat seraient de l’ordre de 1,2 milliards d’euros pour les populations bénéficiaires.
Emploi & formation. Toujours en se basant sur les conclusions de plusieurs études internationales, mais aussi sur une recherche française[3], le rapport présente l’accès à Internet comme un élément favorable à la réussite scolaire, permettant d’accéder à de nombreuses sources académiques et de travailler en collaboration avec d’autres élèves. Plus encore, l’usage d’Internet accroîtrait les chances d’obtenir un diplôme et de réaliser son plein potentiel académique.
Dans le monde professionnel, le rapport rappelle également que les compétences numériques de base ont une influence sur la productivité, mais aussi sur les niveaux de salaires. Selon une étude du Centre for Education and Economics[4], la rémunération des individus maîtrisant les compétences numériques de base serait ainsi de 3% à 10% supérieure à celle de ceux qui ne disposent pas de ces compétences.
Globalement, l’amélioration des compétences numériques de base dans le cadre de nos activités professionnelles permettrait de générer 120 millions d’euros annuels, si seulement un tiers de la population cible était formée et accompagnée à l’usage du numérique.
Le rapport estime également que des compétences numériques de base permettent de naviguer efficacement sur Internet et d’optimiser sa recherche d’emploi, mais aussi d’améliorer son employabilité à l’heure où 75% des emplois nécessitent aujourd’hui la maîtrise de ces compétences.
Relation avec les services publics. En tant qu’usagers, la numérisation de nos démarches administratives nous donne la possibilité d’être mieux informés sur nos droits, de diminuer les risques d’erreur dans nos déclarations (comme le permet, par exemple, le pré-remplissage de notre déclaration de revenus) et bien évidemment de gagner du temps.
Pour nos administrations, la numérisation est synonyme d’économies en réduisant notamment les besoins en termes d’agents d’accueil. Selon le rapport de France Stratégie, là aussi, un plan d’inclusion numérique favorisant la formation d’un tiers de la population cible permettrait de réaliser des économies substantielles d’un montant de 450 millions d’euros.
Inclusion sociale et bien-être. Sur ces questions-là, notre usage d’Internet est identifié comme un moyen d’améliorer notre qualité de vie. Des plateformes comme Doctolib ou Mondocteur peuvent permettre de réduire le délai d’obtention d’un rendez-vous chez le médecin. L’accès à l’information sur Internet, la gestion en ligne de notre compte bancaire ou de nos factures d’électricité, nous permettrait également de gagner jusqu’à 16 heures par an et par personne par rapport aux procédures physiques traditionnelles. Enfin, le rapport relève judicieusement qu’Internet peut être un excellent moyen d’entretenir, voire d’agrandir son capital social, en donnant l’occasion aux personnes les plus isolées géographiquement ou les plus exclues socialement de recréer du lien social.
Des pistes à explorer
Le rapport ne prend pas en compte les mesures politiques et les financements à adopter en vue de réaliser les projections estimées. Cependant, en faisant œuvre de prospective, celui-ci a le mérite d’envisager les gains directs (accroissement du e-commerce, gains en productivité…) et indirects (gain en capital social), individuels (gain de temps) et collectifs (réduction du coût de nos services administratifs due à la numérisation des procédures) d’une transformation numérique plus inclusive.
Surreprésentés parmi les éloignés du numérique, les personnes âgées, sans emploi, aux revenus les plus faibles ou sans diplômes devront alors nécessairement être au cœur des efforts à réaliser. Au-delà des problématiques classiques de la formation professionnelle et continue, le rapport de France Stratégie sur les « Bénéfices d’une Meilleure Autonomie Numérique » rappelle que la formation à une maîtrise des compétences numériques de base est aussi une mesure de cohésion sociale dont profite in fine l’ensemble de la communauté nationale.
Retrouvez le rapport complet sur les Bénéfices d’une Meilleure Autonomie Numérique directement sur le site de France Stratégie.
[1] Adobe Blog (2017), « August DPI : Buying online stretches the dollar»
[2] 2018. « Internet Rising, Prices Falling: Measuring Inflation in a World of E-Commerce. » AEA Papers and Proceedings, 108 : 488-92.
[3] Alva S. et Morales L. (2015), « Usages numériques non formels chez les jeunes et performance scolaire », Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, vol. 18, n°2, p. 138-164
[4] Dolton, Peter and Pelkonen, Panu (2007) The impact of computer use, computer skills and computer use intensity: evidence from WERS 2004. CEEDP, 81. Centre for the Economics of Education, London School of Economics and Political Science, London, UK. ISBN 9780853282006